-
Nous
avons pu constater que le timbre pouvait être considéré comme étant en
quelque sorte la carte de visite acoustique de l’orateur. A tel point
qu’une particularité vocale, un accent ou un timbre trop marqué, va
rapidement retenir toute l’attention des élèves, suivant qu’il est placé
dans le nez la gorge ou la tête, les résonateurs sollicités, vont
profondément modifier et affecter la qualité du timbre.
La conséquence
directe est que ce dernier soit plus ou moins agréable à entendre ; cela
va jusqu’à gêner, voire agacer les élèves. Thierry parle avec une voix
placée dans le masque avec quelques résonances situées légèrement dans
le nez, cela lui donne un timbre quelque que peu nasillard par moment.
Les élèves par définition sont à l’affût de tout, immanquablement, un
élève l’interpelle sur cet aspect de sa voix, il répond très
promptement : (EV/T à 16’48’’) « Je n’y peux rien, j’ai expliqué c’est
mon accent, on ne peut rien y faire ». La remarque s’arrête heureusement
là. Cet incident nous amène à nous interroger sur cette particularité
de la voix dans son aspect très intime de la personne.
Nous sommes ici en présence d’un micro-geste de la voix,
« dans ses aspects organologiques » dans une fonction dynamique plus
ou moins séduisante. Indice/ « une intension, de captation de
l’auditoire ». Dans un symbole qui est « l’expression d’un dire qui
cherche à séduire l’auditoire ».
Remettre en cause la voix d’une personne s’est s’attaquer
à la personnalité même de l’orateur. C’est pour cela, que dans les
toutes premières minutes des entretiens, cette question d’aimer ou non
sa voix quand on l’entend, a été posée plus d’une fois.
Béatrice elle, est très préoccupée par la hauteur de sa
voix ; elle a un timbre particulier, situé dans les aigus, avec une
élocution très rapide, lors de l’entretien elle fait cette remarque qui
montre sa préoccupation : (EAC/B 1’59’’) « Je pensais que ma voix aurait
été beaucoup plus aigue que cela… ce n’est pas si aigu que cela… mais
bon, il y a des hésitations …c’est normal je ne pense pas que cela gêne
beaucoup ».
Sachant qu’elle parle dans un registre élevé, elle redoutait
ce moment où elle devrait s’y confronter, elle se rassure en voyant que
somme toute cela ne nuisait pas à sa séance. Ce qui est remarquable
ici, c’est qu’elle tient ce propos après seulement deux minutes
d’entretien, cela nous montre à quel point écouter sa voix est un
exercice redoutable.
Rencontrer sa voix c’est comme rencontrer un
intrus. La raison en est simple, nous ne percevons pas notre voix de la
même manière si nous l’écoutons enregistrée. La situation de l’oreille
interne, collée dans la boite crânienne vient modifier la perception de
notre voix
-
« Ah
maîtresse, quand tu parles, tu chantes ! » Cette remarque faite par une
élève il y a quelques années lors d’une visite est fort judicieuse. Un
élève aurait pu faire la même réflexion dans la clase de Patrice, en
fait, il donne réellement l’impression de chanter. Cela tient à son
parcours intonatif qui est construit en tension détente, comme le serait
une phrase musicale.
En analysant plus finement une des phrases qu’il
utilise lors d’une mise en activité, on s’aperçoit très vite que toutes
les fins de ses phrases se terminent la plupart du temps sur une note
haute, interrogative, comme pour laisser en suspension et maintenir
l’attention des élèves. Les musiciens diraient sur une dominante, en
suspension.
Jusqu’au moment où il conclu et fait retomber l’attention en
baissant la voix : (EV/P à 5’’ cassette N°2) « Camilla tu en mettrais combien de carrés verts dans le grand rectangle ? » Toute
la phrase est donnée sur une note plutôt haute, dans un seul rythme
régulier, sans respiration, jusqu’à la dernière syllabe qui elle chute
d’environ d’une tierce (intervalle de deux tons). Sur tout le parcours
intonatif, nous avons eu deux accents un au début un à la fin.
Dans un deuxième temps l’enseignant reprend les
propositions des élèves en les reformulant comme pour maintenir le
groupe en halène, par trois fois : (EV/P à 10’’ cassette N°2) « Quin--ze, vin--gt, dou--ze, »,
chaque nombre proposé par un élève est repris, mais avec une intonation
qui monte à chaque fois d’environ d’un ton.
Cela a pour conséquence de
tendre la participation des élèves qui lèvent la main et de stimuler les
propositions, pourtant très vite une fois l’attention de tous conquise,
l’enseignant conclut ce moment d’animation dans la situation
d’exploration par cette phrase : (EV/P Doc. N°2 à 15’’) « Eh bien on va
envoyer quelqu’un au tableau pour justement le savoir. » comme pour
détendre la concentration et relâcher l’attention des élèves, la voix
retombe dans le grave sur la dernière syllabe sur le verbe faire, tout
comme le musicien lui dans la phrase musicale, retourne à la tonique.
Nous sommes là dans un temps de mise en scène remarquable, où
l’enseignant se sert de cet outil pour stimuler la participation de sa
classe. Voilà la remarque de Patrice lors de l’entretien : (EAC/P
16’20’’) « Mon timbre de voix est vraiment lié à l’argumentation. Stop
ma voix descend, c’est assez flagrant (frappant ?) cadence finale, fin
du discours symbolique ce n’est pas négociable. » Ici c’est bien Patrice
qui fait l’analyse même si nous ne verrons pas la suite, il n’en avait
pas conscience dans l’instant.
-Nous avons là un micro-geste de la voix, « Dans ses aspects
organologiques » dans une fonction dynamique plus ou moins captivante.
Indice/ « Une intension, de stimulation du groupe ». Dans un symbole qui
est « l’expression d’un dire dans une interaction collective ».
Ce pattern de temps, peut se représenter comme un grand
DELTA qui symbolise la construction en tension détente du discours. La
progression de la tension étant représentée par trois paliers
successifs ; trois temps où l’enseignant va reformuler les propositions
en montant à chaque fois d’un ton dans le parcours intonatif ainsi qu’en
intensité, il parle de plus en plus fort.
Nous pouvons rapprocher ce
phénomène de ce que les musiciens appellent le resserrement agogique (la musique tend vers le haut, de plus en plus forte, et de plus en plus vite), pour atteindre le sommet à « douze » avant de retomber à la fin de la dernière phrase, « on va demander à quelqu’un de le « Faire » »
Ce mécanisme du parcours intonatif dans la musique des
mots, de par la « tension » du discours, crée « l’attention » avec deux
« t » de l’auditoire. Ce dispositif n’a été que faiblement, voire très
partiellement utilisé par les enseignants observés. Pourtant ce
micro-geste de la voix dans son cheminement intonatif est fort utile
pour maintenir l’attention d’une classe. Sur les huit novices ? Tous ne
s’en servent pas avec la même pertinence.
En physique notamment le temps des consignes est un
moment capital, mais très long il faudra plus de sept minutes à Béatrice
pour donner les différentes consignes et recommandations. La
conséquence directe est qu’il devient très délicat de maintenir
l’attention des élèves, sachant que le déroulement se fait par étapes,
qui sont systématiquement ponctuées par un connecteur de classification,
ici, le mot ‘ensuite’ revient 11 fois sur les 7 minutes du
temps des consignes.
Comment rendre la lecture de toutes ces étapes plus
attractive, en jouant davantage avec ce micro-geste du parcours
intonatif ? Nous avons là un véritable enjeu pour cette discipline.
Il en va de même lorsque Martine en classe de CP essaie
de jouer avec sa voix, dans la lecture des poésies (EV/M de 1’’ à
2’27’’). Nous sommes très loin de toutes les possibilités que ce travail
de mise en bouche du texte permettrait.
Dans un parcours musical, non
seulement l’intonation va rentrer en jeu, mais aussi les variations de
débit, d’accentuation, de nuances, des différentes césures… Qu’elles
soient suspensives ou conclusives, toutes ces césures sont autant
d’effets qui doivent venir captiver l’émotion, suggérée par
l’interprétation du texte. Martine reste dans une lecture offerte, très
superficielle.
-
La source du média, ici la voix qui est chargée de transmettre les
langages les plus singuliers reste toujours une onde hertzienne. La
voix, parlée ou sifflée, comme certains peuples sont encore capable de
le produire aujourd’hui ne peut se détacher d’un lieu donné. Elle doit
se faire à partir d’une source identifiée, située consciemment pour être
suffisamment audible de tous. Dans nos observations, cette qualité
acoustique n’a pas été toujours à la hauteur de ce qu’elle aurait du
être, venant ainsi perturber le bon déroulement de la séance.
Le canal qui véhicule le message sera-t-il efficace,
suffisamment fort en intensité, percutant pour projeter la voix dans une
direction avec une intention et une certaine conviction pour permettre
une bonne circulation de l’onde sonore jusqu’à sa cible. L’œil cet
autofocus de l’oreille, va prendre la mesure de la distance à couvrir,
la posture lui donne le point d’encrage indispensable à l’énergie
diffusable, la colonne d’air le point d’appui pour projeter la
production vocale sur l’avant de la personne et ainsi donner à entendre
et circuler l’information dans une direction, pour faciliter une bonne
captation des informations diffusées oralement.
Mais bien d’autres paramètres se sont présentés aux
détours de nos observations ; nous voyons que tous ces paramètres sont
comme indissociables les uns-des autres. Tous ces micro-gestes inhérents
à la voix participent concomitamment à la bonne diffusion du message
oral. La portée ne peut se faire sans une bonne assise vocal, si la
posture n’est pas stable le point d’appui ne sera pas là la portée non
plus.
Il en va de même pour bon nombre d’autres paramètres, ce peut être
le débit, l’articulation… Ils sont certainement plus faciles à mettre
en évidence lors de la relecture des enregistrements, mais pourtant bien
handicapant lorsqu’ils ne sont pas intégrés.
-
Si
l’on prend le débit, nous avons pu constater, qu’en dépit des évidences
qui font qu’un débit trop rapide peut être fatiguant et qu’un débit trop
lent peut vite devenir ennuyeux, nous avons fini par remarquer un
fait : le débit choisi joue un rôle important dans la conduite de cette
dernière.
En effet, lorsqu’un groupe est très dissipé, nous avons pu
constater qu’un propos trop lent n’arrivait jamais à prendre le dessus.
Bien que plus d’une fois un conseiller pédagogique ait demandé à un
étudiant de faire le silence et d’attendre, cette solution s’est
manifestement très rapidement avérée inefficace, il en va de même de
l’idée de baisser le volume de la voix ; même si l’indice perçu va être
une alerte sur l’intention du locuteur et peut être sur le moment,
calmer quelque peu les énergies.
L’effet, si tant est qu’il puisse
fonctionner un court instant, n’en est malheureusement que très
éphémère. Seule une présence très prégnante du maître va pouvoir
reprendre en main une telle situation ; et dans ce cas, plus d’une fois,
nous avons pu constater qu’il était important d’être capable de prendre
les sujets perturbateurs de vitesse, comme si la voix venait concentrer
les élèves dans des consignes qui peu à peu allaient les canaliser dans
une activité où leurs corps seraient neutralisés dans une tâche bien
précise.
Nous avons fait un tableau récapitulatif des différents
tempi utilisés par nos protagonistes. Comme nous l’avions fait pour les
déplacements nous avons vu une grande variabilité dans les tempi. Par
exemple, entre Martine et Patrice, la variation est très importante.
Est-ce à dire que tous les enseignants qui on un tempo un peu plus
rapide réussissent mieux ?
Dans le cadre de l’école primaire et
secondaire en tout cas, prendre le groupe de vitesse semble être un
paramètre important, notamment dans les classes particulièrement
difficiles à gérer. Le tempo soutenu maintien un état de centration des
élèves sur l’activité, comme les enfermant dans une dynamique de jeu
collectif.
Dans l’image que la portée de la voix véhicule, l’enseignant doit
prendre la mesure des espaces qu’il va créer. Par le simple usage de ce
micro-geste particulier, chacun sera à même de comprendre l’espace
symbolique représenté. De par l’aura ainsi dessiné, chacun sera en
mesure de comprendre où il doit se situer. Soit l’espace est global
partagé par tous, soit il devient plus intime ; dans ce cas, c’est le
temps de la relation privilégiée entre l’enseignant et l’élève.
Le temps
de l’individualité. D’autres micro-gestes professionnels viennent alors
en renfort, ils ont une importance tout aussi primordiale, que ce soit
les déplacements la proxémie… Encore une fois nous voyons que tous ces
micro-gestes professionnels sont comme interdépendants les uns des
autres.
Nous avons là un micro-geste de la voix et dont nous rappelons les aspects génériques
Image : « Les aspects kinesthésiques et/ou organologique»
Indice : « d’accompagnement et/ou renforcement d’un dire »
Symbole : d’une intention relationnelle (technique, didactique, médiatrice) et/ou d’un état émotionnel (conscient ou inconscient
-
Nous voudrions maintenant regarder l’accentuation, qui est aussi un
marqueur très caractéristique du micro-geste de la voix. Pour beaucoup
de sujet observés, l’accentuation est un moyen d’affirmer une idée, soit
de se remettre en scène. L’accentuation vient comme témoin et
catalyseur de l’énergie, redonner de l’élan à un propos.
De plus il a
une deuxième fonction, c’est de mettre en valeur certain mots qui font
sens et doivent retenir toute l’attention des élèves. Certaines fois ces
mots sont accentués syllabiquement pour bien les identifier. Est-ce un
moyen mnémotechnique pour en faire trace en mémoire ? Toujours est-il
que nous avons observé plusieurs fois cet usage.
Patrice nous montre un
usage de l’accentuation accompagné d’un geste très explicite ; les
élèves reprennent : « Dé ci mètre Dé ca mère, He cto mètre, Ki lo
mètre… » (EV/P Doc. N° 2 à 27’26’’).
Comme pour la musique, l’accentuation a un rôle tout
aussi fondamental dans la mise en valeur d’une idée dans la musicalité
du langage parlé. Plus d’une fois, lors de nos séances d’enregistrement,
nous avons pu constater que pour beaucoup d’orateurs, tous les mots
étaient présentés avec la même dynamique.
Pourtant, la mise en valeur de
certains mots par l’accentuation est un élément essentiel de la
compréhension d’un texte. L’accent vient insister sur un mot clé, en
cela il attire l’attention des élèves sur le sens que l’on cherche à
développer dans l’énoncé de la phrase.
Le plus intéressant dans nos
observations, est le fait que l’accent n’est jamais seul dans la mise en
scène du discours, il est en général accompagné par un geste qui vient
souligner le propos, comme le fait systématiquement Patrice dans
l’exemple cité ci-dessus.
Un détail supplémentaire nous est apparu lors
de ces observations. Le détail est petit, mais oh combien important ;
avant l’accentuation, il y a comme une petite suspension, un petit
silence, très court, mais très significatif, il vient interpeller le
public, comme pour attirer son attention le mettre en tension. Cette
rupture du conduit mélodico rythmique, semble être posée là, comme pour
engendrer du contraste, ainsi, il crée comme une sorte de surprise ou
suspension à l’écoute ; il met du relief dans le déroulement de la fluidité de l’oral.
-
Il
nous reste à parler de l’articulation, qui est peut-être l’indicateur le
plus facilement perceptible pour la personne non habitué à faire
fonctionner son oreille, pour la simple raison qu’un mot mal articulé ne
peut être en fait compris et que visuellement certains indices sont
manifestement tangibles.
Il va donc de soi qu’un discours doit être à
minima correctement articuler par son orateur, mais la source de
l’articulation si l’on observe de prêt son mécanisme est lui aussi plus
délicat qu’il n’y parait. En effet, bien que l’on ait conscience que les
zygomatiques muscles qui créent le mouvement d’ouverture et de
fermeture de la mâchoire jouent un rôle important dans l’articulation,
ils ne sont pourtant pas les seuls à intervenir dans la phonation, les
différentes zones qui interfèrent sont nombreuses tout au long du
parcours de l’air, comme nous avons pu le réaliser avec la réalisation
de l’animation 3D que nous avons conçu avec le service ICAP de
l’université Lyon1.
Quelle soit gutturale, labiale ou linguale,
l’articulation va être plus ou moins efficace en fonction des nombreux
facteurs qui vont venir la transformer. Il y a notamment les lèvres, qui
comme nous avons pu le constater lors des productions filmés jouent un
rôle important et visible ; de plus elles deviennent souvent un
véritable soutien à la compréhension, l’exemple le plus frappant et
cette trop fameuse lecture de dictée, fractionnant syllabiquement les
mots afin d’en faciliter écriture.
Pourtant, nombreux sont les étudiants
qui ne savent pas s’en servir.
L’articulation est un peu comme le travail de l’ébéniste
qui vient ciseler la voix dans le découpage syllabique d’un mot.
L’enseignant doit fait marcher ses zygomatiques, ces muscles accrochés à
la mâchoire qui servent à modifier les phones et allophones qui
constituent les réalisations sonores des phonèmes propres à une langue.
La dextérité du musicien dépend de la virtuosité de son toucher, de la
manière dont il va rentrer en contact avec la corde du violon ou la
touche du piano.
La dextérité de l’enseignant dépend elle aussi de la
manière où ce dernier va rentrer en contact avec sa maîtrise musculaire à
produire des phonèmes qui constituent les briques élémentaires de la
chaîne de la production de la voix parlée.
Responsable pendant dix
années de suite d’une UFP (Unité de formation professionnelle) à l’IUFM
de Lyon, nous avions en charge les professeurs de langue ; une des
difficultés qu’ils rencontrent c’est d’être capable d’ajuster son
articulation à la capacité des élèves à repérer globalement des
sonorités, mais aussi ces plus petites entités phonologiques qui
constituent les mots utilisés d’une langue.
Derrière la perception
globale, l’élève va chercher dans une perception plus fine à repérer le
découpage syllabique des mots entendus. Il va même chercher à
reconstruire visuellement mentalement jusqu’aux lettre qu’il sera
capable d’identifier qui composent le dit mot afin de mieux le retenir
et de pouvoir l’écrire. Une anecdote retient notre attention qui peut
venir illustrer ce propos. Nous avions en formation dernièrement un
professeur d’université d’origine étrangère qui devait faire un cours en
biologie moléculaire.
Dans le déroulement de ses conférences, ses
séances de TD, ou TP, elle nous dit avoir des difficultés avec ses
étudiants à cause de cette barrière de la langue. En situation avec ses
collègues, nous avons été obligés de lui demander de reprendre plusieurs
fois certains mots très complexes qu’elle utilisait, pour que nous
soyons en mesure de les décrypter, d’être simplement capable les répéter
sans forcément en comprendre le sens, qui lui était trop technique.
Dans les cas observés, nous avons pu constater que très souvent si le
début de la phrase parlée est bien articulée, plus on s’approche de la
fin de phrase plus la propension à diminuer l’articulation se fait
sentir, jusqu’à certaine fois ne pas tout comprendre de lorsque l’on se
trouve au fond de la classe derrière la caméra.
Nous constatons que nombreux sont les paramètres musicaux qui sont en jeu, tels que l’usage de la structure rythmique du temps développé lors d’un discours.
En observant nos enregistrements, nous avons pu constater, que tous les
orateurs n’ont pas la même conception du temps ; entre celui qui va
faire de longues phrases, et va de développement en développement
essayer de démontrer tel idée, ou tel concept, et celui qui va plus
synthétiquement présenter plus lapidairement les faits, pour expliquer
une démarche ou un problème, les conceptions du temps déroulé en
représentation, sont donc très variables suivant les personnalités, mais
aussi comme nous avons pu le remarquer, suivant que l’on vienne de
domaines et de champs disciplinaires très différents.
En effet, lorsque
l’on travaille avec des enseignants ou des étudiants qui appartiennent à
une université dite des sciences humaines, nous avons pu observer, que
le discours et souvent beaucoup plus sinueux, voire mélismatique pour en
venir au fait.
Par contre, lorsque l’on travaille avec des enseignants
qui sont issue d’une université dite scientifique comme Tiffany,
Béatrice, Thierry et Olivier les enseignants sont plus direct, vont
« droit au but ». Les phrases sont plus courtes, très lapidaires, elles
disent l’essentiel en un minimum de mots. Ce phénomène nous étonne
toujours lorsque nous travaillons avec les trois universités Lyon 1,
Lyon 2 ou Lyon 3 de voir à quel point les modes de fonctionnement sont
différents dans leur rapport au langage.
Mais revenons à notre comparaison de la phrase parlée
avec la construction dynamique d’une phrase musicale. Comme le musicien
va mettre des accents et des césures dans la construction dynamique
d’une phrase musicale, l’enseignant va lui aussi, avec des respirations
et des petites ruptures, créer un véritable parcours musical du mot. En
essayant de se représenter mentalement cet état de fait, nous avons
schématisé la construction dynamique du discours sous la forme d’un
delta.
Mise en forme du delta sur une phrase :
Somment en tension du discours (Musique dominante)
V I I
Point de départ tonique)
Retour de la détente (tonique)
Ce triangle symbolise la tension progressive du discours
dans son déroulement dans le temps. Le sommet en est l’accent qui va
être consciemment mis à un moment ou à un autre, mettant ainsi en valeur
le ou les mots qui sont la clé, porteur du sens, la chute est elle
représentée par le dernier côté du triangle, le temps du repos où l’on
revient à son point de départ. Mais ce delta va s’inscrire dans une
succession de patterns de temps construits eux-mêmes dans une
progression en tension détente, sous la forme d’un delta plus ample qui
va tous les englober. Mise en forme du delta dans un paragraphe : une
première partie de phrase sur une intonation interrompue par une
première virgule, reprenant sur une intonation un peu plus haute (voire
un peu plus fort) interrompue une seconde fois par une petite césure ou
respiration, qui aboutit à un sommet de la tension dans une intonation
plus aigue, pour revenir en fin de phrase sur une tonique .
Ainsi se construit le développement du discours dans sa
structuration d’un temps dynamique donnant à un paragraphe toute sa
portée communicationnelle.
Dans cette représentation schématisée d’un discours, nous
retrouvons la même palette d’effets dont nous sommes susceptibles de
faire usage en musique. Que ce soit les respirations avec les césures
plus ou moins suspensives ou conclusives, l’apport de l’accentuation
pour mettre en relief certains mots, le travail sur les nuances, créant
cette suspension à l’écoute dans le crescendo tous ces ingrédients qui
participent de musique des mots sont là pour maintenir l’attention de
l’auditeur et mettre en valeur le propos de l’orateur.
Nous ne sommes
pas si éloignés de la mise en forme des éléments du langage musical dans
une improvisation, ou une composition musicale. Encore une fois, la
comparaison avec la phrase musicale peut être faite ; il est surprenant
de constater, que lorsque les effets sont maîtrisés, l’enseignant et le
musicien possèdent là un merveilleux outil de la mise en scène de leur
prestation vocale ou instrumentale.
La virgule, le point virgule, le
point, pour conclure une phrase, la tonique, la sous dominante, la
dominante monte progressivement suspendent l’attention, dans la
construction dynamique du temps musical tout comme le parcours intonatif
lui se tend pour revenir à la tonique l’auditeur retrouvant une
stabilité, lui permettant de reprendre son souffle, de laisser
s’insinuer en esprit une conduite de perception le message du propos
engagé, comme pour maintenir l’auditeur dans un jeu de voilà bien
Il nous faut ici nous arrêter un instant pour expliquer
le phénomène. Dans la construction du discours musical, en musique, la
progression harmonique d’une phrase va de la tonique à la dominante pour
revenir à la tonique en fin de mouvement, en quelque sorte d’une
position de stabilité pour créée une tension et revenir à cette position
de stabilité, il en irait donc de même avec la construction de la
phrase à l’oral, si l’on veut capter l’attention maximale de son
auditoire ?
Le plus étonnant, c’est que l’on retrouve cet effet de la
construction dynamique d’un discours dans ce formidable outil de la
mémoire collective de notre langue qu’est la comptine. Elle s’est peu à
peu façonnée, depuis des temps immémoriaux pour ne transmettre de
génération en génération que les bons outils de l’oralité ? N’a été
gardé que le nécessaire et suffisant à l’apprentissage des fondamentaux
d’une langue. Cela n’est pas un hasard, si ces éléments du langage qui
ont résisté à l’épreuve du temps s’inscrivent justement dans une
construction dynamique en tension détente.
Cet exemple nous montre toute
l’importance de la dimension psychologique qui sous tend un discours.
L’attention est liée à la capacité d’absorbation des unités de sens mis
en perspective dans la linéarité du discours. L’enfant ne pouvant
maintenir et concentrer son attention que sur une durée limité, la
musique du mot, sur ce modèle va structurer le sens dans un parcours
intonatif précis. Partant de la tonique, que l’on peut considérer comme
la fréquence de base, la hauteur autour de laquelle l’orateur parle le
plus aisément, la comptine progresse dans un cheminement intonatif qui
se tend monte progressivement à la rencontre de la dominante.
Ce
parcours musical autour de quelque notes seulement, créer une tension
mélodico rythmique, qui par étapes successives, doit aboutir à un sommet
agogique. Ce moment particulièrement reconnaissable est crucial, il
peut être anticipé dans le temps du souffle où l’on sent arriver
l’accent qui vient mettre en lumière le mot ou l’idée que l’on ne doit
pas manquer. La comptine sur ce modèle est bien faite, la chute est
alors proche elle vient relâcher cette tension imprimée à l’écoute.
Les
éléments dynamiques de la musique du mot trouvent leur aboutissement à
l’effort fourni, sur le modèle du « Youpiii… » ou le « Tant piii… », si
attendu par les enfants. En musique c’est le temps du retour à la
tonique, le temps du relâchement de l’attention, un temps nécessaire, un
passage obligé si l’on veut pouvoir poursuivre et maintenir un certain
temps son attention en éveil.
L’objectif de la comptine est de tenir en haleine
l’enfant pendant une dizaine de secondes, cela lui apprend à maintenir
son attention dans un temps donné, avant de relâcher sa concentration
grâce à la formule ludique de fin, elle-même est en général accompagnée
par le geste corporel collectif de s’accroupir. Ce moment si attendu de
relâchement du discours joue sur le principe de la psycho acoustique, il
est apprentissage d’un savoir différer le temps du plaisir partagé,
savoir résister au vagabondage des sens en alerte, pour se plier à la
tension musicale du discours, ainsi il va maintenir l’élève dans son
statut d’auditeur attentif.
Cet élément du patrimoine commun, qu’est la
comptine, est ‘étudiée pour’ ; non seulement elle participe à
la mise en place de repères dans son allégorie historique, mais en plus,
elle permet de comprendre les clés du principe de d’attention chez un
auditeur. Cette construction ludique, psycho acoustique qui joue sur les
mots, leur assonance et leur emploi, permet de mettre en scène le
principe d’attention, un temps prévu ni trop long ni trop court.
Il
participe de l’attention active, en venant en fin de comptine
récompenser l’effort consenti par une petite formule ‘magique’ : «Tant
piii…», où tout le monde s’accroupi, éliminant ainsi, toute la tension
nerveuse accumulée dans la phase de l’effort.
Ne pourrait-on pas prendre ce mécanisme psycho
fonctionnel, comme modèle pour le conduit discursif d’un propos pour
créer une tension dynamique du discours, laissant à la fin de chaque
moment important, un temps pour ingérer ce qui vient d’être dit ? La
question serait de savoir, à quel moment ce principe doit-il être
employé et quel serait le temps opportun qu’il conviendrait de prendre
en compte, pour répondre aux contraintes de l’incidence de la psycho
acoustique sur l’art de mettre en scène un exposé ?
N’est-ce pas dans ce
temps d’un lucide repos, que l’élève saurait reconnaître la voie
d’accès pour le stockage de l’information reçu, lui permettant ainsi de
revenir sur ce qui vient d’être dit et le situant au regard de ce qu’il
connaît déjà ? Ne serait-ce pas là, le temps de l’activité cérébrale,
celle du passage au mental ?
A ce propos, il nous revient en mémoire une séance, où un
enseignant qui dans un parcours très mélismatique, essayait de
transmettre à ses élèves un contenu, mais son propos très nébuleux,
avait beaucoup de difficultés à capter l’attention de ces élèves et lors
de l’entretien d’auto confrontation qui suivi, qu’elle n’a pas été sa
déconvenue, lorsqu’il constatait qu’au bout de cinq minutes ses élèves
décrochaient, lorsque nous avons visionné cet enregistrement nous
n’avons pu que constater qu’aucun des micro-gestes reconnus comme
opératifs n’était réellement mis en place, ni consciemment perçus.
Points observés à développer
- Maîtrise du parcours intonatif par rapport à un texte
- Maîtrise des accentuations
- Maîtrise du débit
- Maîtrise de la portée de la voix
- Maîtrise de l’articulation
- Maîtrise des césures et du découpage sémantique